De Picasso à Picsou
De Picasso à Picsou
J'ai eu l'occasion d'aller à Landerneau visiter l'exposition consacrée à Picasso et organisée par " le fonds
Hélène et Edouard Leclerc " .
Car ces gens-là ont un bon fond , n'est-ce pas ?
Indépendamment de tout ce que véhicule la philosophie de la vie à la Leclerc , j'ai trouvé cette exposition vraiment
remarquable , même si mes préférences en matière de peinture ne vont pas spécialement vers cet artiste , d'au-
tant plus qu'il fréquentait quand même la juiverie ( n'est-ce pas Max ? ) .
C'est remarquable, je le redis, mais on sent derrière une grosse machine à brasser de l'argent ( du Leclerc en un
mot ) , en témoigne par exemple la salle de ventes de livres et brochures d'après la visite , très bien fournie en
documents de très haute qualité et à des prix pas spécialement populaires ...
Bref : de Picasso à Picsou il n'en va que de quelques lettres , n'est-ce pas ?
A un moment , j'ai dit, en prenant un air de conspirateur , à deux collègues qui m'accompagnaient : " Je vous
propose une association de malfaiteurs . Vous faites le guet et je pique un petit tableau . " J'ai alors entendu derrière
moi un " Ah non alors ! " indigné venant d'une dame qui avait pris ma sortie au premier degré ! Heureusement
qu'elle n'a pas fait intervenir les vigiles !
A l'issue de la visite , je suis allé consulter ce qu'on appelle " le livre d'or " , grand cahier où les visiteurs sont
invités à écrire leurs commentaires .
J'aime beaucoup ces documents , ou autres supports où on peut laisser ses impressions, car on y trouve sou-
vent de véritables monuments d'écriture . Ainsi vous choquerai-je en disant que j'aime bien regarder les murs
des chiottes ( amis de la poésie bonsoir ) car la littérature érotico-porno-scato est extrêmement gratinée ?
De même, dans un tout autre registre, j'aime lire les témognages dans les églises et cathédrales car on peut
y trouver de très touchants et beaux témouignages .
L'atmosphère des chiottes et celle d'une cathédrale n'est pas tout à fait la même chose, mais l'un et l'autre
lieu ont quelque chose en commun, à savoir un discours adapté pour chaque endroit . Dans les chiottes , c'est
le dévergondage absolu ; dans un lieu de culte , on reste toujours dans un registre sérieux, plein de componc-
tion, de solennité , de gravité, de souffrance non feinte, d'allégresse non dissimulée etc.
Or , dans un livre d'or comme celui que j'ai parcouru tout à l'heure , on trouve de tout , comme dans une
auberge espagnole ( normal : Picasso en était bien originaire , non ? ) : des commentaires archi sérieux ,
des lieux communs , des analyses de plus ou moins bons niveaux, des dessins, des phrases maladroites et
touchantes de petits enfants etc .
Et aussi des choses parfaitement déjantées . En voici quelques-unes relevées tout à l'heure :
" Très joli , mais la drague est dangereux pour la santé . "
" J'ai grave kiffer ( sic ) à plus dans le bus . "
" J'ai reconnu mon ex sur une peinture . "
" Moi je ferai mieux . "
" C'est qui ce picassiette ? "
" En ces lieux , il y a plusieurs siècles , les moines ou les nonnes étaient loin d'imaginer qu'il y aurait sur les
murs une multitude de tableaux de nus figurant en lieu et place du crucifix . Etonnant , n'est-ce pas ? "
( note de ma part : l'exposition avait lieu dans un bâtiment restauré qui abritait des capucins ) .
Et , comme je ne voulais pas rester silencieux et que je refusais qu'on s'imaginât que je fricote avec les ca-
pitalistes de la grande distribution, j'ai écrit sobrement ceci :
" Intéressant, mais cela ne répond pas à la question : Edouard Leclerc était-il un collabo ou non ? "
Pour une fois que je pose une question intelligente ...
Prof De Guermont