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Autour de Pont-Melvez
1 septembre 2015

Infiltration (2)

INFILTRATION THERAPEUTIQUE

Résister aux sirènes de Locarn (2)

 

C'est au tour du président de l'Institut de prendre la parole : il s'agit d'Alain Glon, ex-PDG de l'entreprise Glon-Sanders, productrice d'aliments pour animaux … bourrés de farines animales. Après s'être demandé – préoccupation essentielle et qui changera certainement la face du capitalisme - comment on dit « think tank » en breton, il a une pensée émue pour ces « pauvres agriculteurs, dont on voit la grande souffrance actuellement, qui ne sont pas soutenus par l’État comme le sont les profs et les autres fonctionnaires . » Mais il dit par ailleurs que les caisses de l’État sont vides et c'est tant mieux, cela prouve que l'idéologie de Locarn est celle de l'avenir : il est hors de question de compter sur des finances publiques, donc sur quelque solidarité que ce soit, même dans une future Bretagne autonome, car il faudra que chacun compte sur ses propres forces. Cherchez la cohérence !

 

Le jeune Sébastien Minguy, co-créateur de la Vallée des Saints à Carnoët dans les Côtes d'Armor, s'exprime ensuite pour affirmer que cette Vallée « est la chose la plus importante qui se passe en ce moment en Bretagne, car elle prouve qu'en Bretagne, culture et économie font très bon ménage », et qu'elle fait venir des touristes. Voilà qui est clairement exprimé : utiliser comme argument de vente une certaine idée de la culture ou de la mystique bretonne, notamment celle d'une « Bretagne éternelle » dont les natifs « oublient qu'ils furent heureux avant 1532 »1 (et encore un peu jusqu'à la Révolution française, évidemment), voilà ce qui anime l'Institut de Locarn. Il faut donc à tout prix

entretenir l'image d'une Bretagne rêvée, attachée à des « valeurs » qu'elle se doit de transmettre en servant d'exemple à l'Europe … et que cela se traduise en espèces sonnantes et trébuchantes. Paris a son Disneyland, nous voici transportés en Breizouland, avec décor de théâtre, ici en granit.

Mais de quelles « valeurs » parle-t-on ? Le cerveau de la Vallée des Saints est un certain Philippe Abjean, qui a été professeur au nord-Cameroun à l'invitation d'un prêtre breton, puis enseignant à Notre-Dame-du-Kreisker à Saint-Pol de Léon dans le nord du Finistère. Dans l'historique sur le site de laVallée des Saints, on peut lire que « Cette forte intimité (?!) avec des missionnaires bretons dans la brousse africaine est peut-être ce qui a poussé Philippe Abjean à faire naître en Bretagne, à son tour, des projets d'envergure porteurs pour le catholicisme. […] Il y a vingt ans précisément, attristé de voir les paroisses se vider, il a décidé d'entrer en résistance contre ce qu'il appelle le défaitisme de l’Église et de montrer que rien n'est inéluctable. La Bretagne à cinq départements est une terre de spiritualité et il relève le défi de rallumer la flamme. » D'où l'idée de parsemer ce terrain de Carnoët à terme de mille statues de 4 à 5 mètres de hauteur, en granit, représentant les « Saints » ayant débarqué en Bretagne voilà 1500 ans dans le but d'évangéliser les populations du coin. L'Institut dit clairement que les racines chrétiennes de la Bretagne et de l'Europe doivent être revendiquées, affirmées, transmises … Or on se trouve ici devant une promotion des « signes extérieurs de christianisme » : une exhortation à retourner à la messe, des idoles de granit, et si en plus cela fait venir les touristes qui du coup vont se mettre à consommer dans le coin, le but principal aura été atteint. Voilà donc à quoi se résument les valeurs chrétiennes telles qu'elles sont exprimées par les membres de Locarn : ne compter que sur ses propres forces en faisant confiance à Dieu pour que tout se passe comme on le veut, remplir les églises entre 10h et midi le dimanche matin, et faire dépenser de l'argent en créant des parcs d'attraction à connotation chrétienne. De quoi se surprendre à penser : « Jésus, reviens, ils sont devenus fous ! »

Sébastien Minguy a précisé qu'il s'agissait, en érigeant ces statues à Carnoët, de créer une « Ile de Pâques » bretonne : quand on sait que la civilisation de cette île est allée jusqu'à s'autodétruire tant elle était obnubilée par la construction de ses idoles, ceci n'est guère rassurant.

 

Attaché aux racines chrétiennes de la Bretagne (tintées avant tout de mercantilisme), terre de « spiritualité » qui se doit de transmettre ses valeurs (même si en réalité, la Bretagne s'est sérieusement sécularisée depuis cinquante ans) ; contre la République qui impose (encore quelques malheureuses) règles aux pratiques économiques ; pressé de se débarrasser de ce qui subsiste du code du travail et de voir s'effondrer l’État providence et les services publics (ou ce qu'il en reste, là encore), et qui représentaient l'espoir d'une société plus solidaire en 1945 ; amoureux de la Bretagne à condition que ça rapporte : voilà une esquisse du portrait de l'Institut de Locarn.

Mais ce n'est pas tout.

Petit florilège des épisodes suivants : supériorité de tout ce qui est breton, encouragement de l'agriculture la plus polluante avec tentative réussie de musellement des médias, expansion des

limites de la Bretagne (si, si!), fin du droit de grève …

C'est parti :

Alors même que l'entreprise française EDF est membre de l'Institut de Locarn, Redéo, une entreprise « pur beurre », concurrente mais néanmoins amie dans l'Institut, se propose de bouter EDF hors de Bretagne en vendant du gaz, de l'électricité, et de l'eau à un prix légèrement moins élevé que celui que pratique EDF - pour l'instant, car on sait pertinemment que la concurrence en matière d'énergies n'a jamais fait baisser les prix.

Redéo s'est constituée en association régie par la loi de 1901, alors même que son but est éminemment lucratif, évidemment. Elle souhaite « se réapproprier ce qui représente pour la

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population des dépenses obligatoires (35% du budget des ménages en moyenne), à savoir l'eau, les énergies et le traitement des déchets, afin que ce soit taxé par des sociétés bretonnes, et non françaises ». Pour le moment, Redéo travaille principalement avec les agriculteurs, mais vise à occuper tout le marché breton. L'apothéose de cette présentation est atteinte lorsque le jeune cadre dynamique qui parle assure que « quand tout cela sera breton, on vivra mieux ». Alors que j'essaie de cacher ma mine affligée, j'entends l'assemblée applaudir à tout rompre. Car bien entendu, ce « on » ne se rapporte qu'à ceux qui en tireront les bénéfices, et il ne s'agit pas des consommateurs forcés.

 

Le clou de la matinée a probablement été le discours de Danielle Even, productrice de porcs dans la baie de Saint-Brieuc et porte-parole de l'association « Agriculteurs de Bretagne ». Cette association « a été créée pour contrer les accusations et les critiques formulées à l'égard des agriculteurs concernant la prolifération des algues vertes », et elle met en doute les résultats des études scientifiques, notamment de l'IFREMER2, qui pointent du doigt les nitrates d'origine agricole. Madame Even explique que les agriculteurs avaient été blessés par ces allégations venant « surtout des médias français », qui remettaient en cause le travail effectué depuis la seconde guerre mondiale pour nourrir tout le pays. D'après elle, la création de cette association de défense de l'agriculture la plus polluante, ce qu'elle ne dit pas, a porté ses fruits : elle a réussi à faire pression sur les médias pour qu'ils ne parlent plus des algues vertes, ou en tout cas pas en lien avec l'agriculture bretonne ! L'association a aussi monté une opération de com' en lançant « Tous à la ferme » : depuis juin 2013, des fermes en Bretagne (des quatre départements …) ouvrent leur portes aux habitants, leur offrent un brunch et leur montrent comment ils travaillent. D'après la porte-parole, la population est ravie, les assure de son soutien, leur dit qu'elle les croit eux et non les méchants journaux français. Madame Even est également fière de dire que son association utilise les réseaux sociaux, le Festival Interceltique de Lorient, et le festival des Vieilles Charrues à Carhaix pour faire passer sa propagande de soutien à une forme d'agriculture dont l'utilisation des pesticides et les élevages notamment porcins, toujours plus nombreux et intensifs, favorisent bien évidemment la prolifération des algues vertes sur les côtes. « Pour une Bretagne belle », comme le dit le slogan de Locarn !

1) Date de l'union du Duché de Bretagne au Royaume de France.

 2) Institut Français de Recherches sur l'Exploitation de la mer. 

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