Mirbeau, Bloy : comme ils me manquent
Mirbeau, Bloy : comme ils me manquent
Dans le dernier texte du blog du bon moine apparaît un commentaire de Soeur Olympe qui me réjouit le coeur .
Bloy et Mirbeau font partie de ces auteurs dont je suis inconditionnel ; leur maîtrise de la langue, ,la
force de leur expression , leur extraordinaire capacité à utiliser le pamphlet nous donne une belle le-
çon de savoir écrire en ces temps où tout doit être policé et correct tout plein .
Lisez et relisez Bloy et Mirbeau : c'est un délice, un bol de vitriol dans la sale gueule des bourgeois,
des élus, des profiteurs , des imposteurs ...
Un exemple de protestation où on se déculotte devant l'autre : vous savez que beaucoup de gens s'insurgent
contre la mise en place des compteurs Linky .
J'ai entre les mains un type de lettre qu'un collectif anti-Linky a fait remettre aux participants d'une réunion
d'information . Il s'agit d'une lettre-type à adresser au directeur de Enedis et lui signifiant qu'on ne veut pas
de ces compteurs Linky . La lettre commence par " Je me permets de vous solliciter ... " et finit par " Je vous
prie de recevoir l'assurance de ma sincère considération... "
Que de précautions oratoires pour faire savoir à un gros con qu'on n'est pas d'accord du tout avec ses méthodes !
Pourquoi ces chichiteries prout-prout et faux-cul ? Pourquoi, pendant qu'on y est , ne pas commencer la lettre
par " J'ai l'honneur de solliciter de votre haute bienveillance et gna gna gna ... " ?
Imaginons un Bloy ou un Mirbeau écrivant à ce directeur : vous croyez qu'ils auraient utilisé ces formules de
lèche-bottes ?
Et Marcel Aymé, un auteur que j'estime également beaucoup , qu'a-t-il répondu au président de la République
de l'époque qui insistait pour qu'il acceptât la légion d'honneur ? Une formule de politesse bien comme il
faut ? Non : " Votre légion d'honneur , vous pouvez vous la carrer dans le train . "
Personnellement, j'aurais plutôt écrit fion ou cul . Et vous ? Mais train, c'est quand même bien .
Il m'est arrivé souvent d'écrire à des gens " importants " que je méprisais ou contestais , style magistrats .
Dans ces cas-là , je ne mets ni Monsieur ni Madame, ni phrase d'introduction ni formule de politesse . Je dis
ce que j'ai à dire , sans insulter car cela peut coûter quand même cher quand on est seul , mais je peux vous as-
surer que, dans le code des convenances écrites, faire abstraction des formules habituelles de politesse est très
mal vu et est assimilé à une insulte . Sauf que ce n'en est pas une officiellement et on ne peut donc rien vous
reprocher .
Pour finir par une anecdote qui me revient : il y a au moins vingt ans , j'avais reçu une lettre comminatoire du
centre des impôts de au sujet d'amendes que j'avais refusé de payer . Dans ce courrier, on m'écrivait que,
à défaut de paiement immédiat , on viendrait saisir mes meubles .
Je m'étais fendu d'une réponse que je dois avoir gardée et qui relevait du foutage de gueule le plus grandiose .
J'avais utilisé toutes les formules de lèche-cul comme ce n'est pas permis pour leur faire croire que j'étais prêt
à faire profil bas mais avais glissé à la fin une phrase assassine . En effet , vous savez certainement que ce
qu'on appelle un meuble est quelque chose que l'on peut déplacer, contrairement à une maison par exemple qui
est par conséquent un immeuble ; j'avais joué sur cette subtilité pour dire quelque chose comme : " Considé-
rant que mon trou du cul doit être assimilé à un meuble car je me déplace avec lui en permanence , je le laisse
bien entendu à votre entière disposition mais , s'il vous plaît de le venir saisir, je vous prierai de porter des gants
aseptisés car je ne veux pas attraper de vilaines maladies . "
Je ne me souviens plus de la fin de l'histoire, mais j'avais beaucoup rigolé et fais certainement rire également
quelques personnes du centre des impôts ...
En tout cas, la libération de l'individu passe évidemment par le langage, et je trouve consternant cette peur de
se servir de l'incroyable diversité de la palette dans la manière de s'exprimer .
Prof De Guermont