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Autour de Pont-Melvez
8 septembre 2017

Sainte Angela, priez pour nous

Sainte Angela, priez pour nous

Je sais bien ce que vous pensez   : je suis injuste avec Angela Duval , notre poétesse nationale .

La preuve : je n'arrête pas de me moquer d'elle, poussant même l'inconvenance à lui donner de l'endormeuse Duval

( ce n'est pas de moi mais je trouve cette trouvaille vraiment délicieuse, n'est-ce pas , Arthur ? ) .

Je n'ai personnellement rien contre celle qui habitait à Traon an Dour à Vieux Marché .

C'était certainement une très brave femme, courageuse  , très proche de la nature , plutôt catho mais personne n'est

parfait ; elle accomplissait son difficile travail de paysanne avec assiduité et parlait ce breton authentique et populaire 

qui parle tellement à mon coeur et qui me fait une grande peine de voir mourir .

Mais cela en fait-elle une poétesse ?

Le fait d'être une paysanne pauvre , bretonnante , très attachée à sa terre , ayant vécu la tourmente de l'occupation ,

d'écrire beaucoup , lui confère-t-elle automatiquement le statut d'indiscutable poétesse ? 

Pour parler riche , je pense que Angela Duval participe du phénomène de la construction d'un mythe : on a toujours

besoin de grands hommes et de grandes femmes, de personnages qui cristallisent nos besoins, nos aspirations , nos

illusions , nos convictions , réelles comme montées de toutes pièces , nos déceptions , nos espoirs ...

Chez nous , on avait besoin d'un Angela Duval, comme on a eu besoin d'un Glenmor, d'un Xavier Grall , d'un Georges

Perros , d'un Jean-Michel Kernaleguen , d'un Pontcallec , d'un Sébastien Le Balp ... Autant de morts élevés en icônes

et auxquels on attribue les qualités les plus élevées , les pensées les plus nobles , plus pour notre profit que pour

honorer leur mémoire .

On a besoin de ces personnages pour cimenter notre appartenance au concept de la Bretagne .

Ce qui me frappe est que , il y a une quarantaine d'années , presque personne ne connaissait ces défunts ( mise à

part Glenmor qui poussait encore ses gueulantes salutaires ) , alors que tout le monde s'en gargarise actuellement .

Je me souviens de 1981 , date de la mort de Xavier Grall , ce grand monsieur à mon sens , celui qui affichait ce

très beau visage d'Ankou émacié : j'étais allé avec mes élèves de 3è dans les rues de cette petite ville du centre Bre-

tagne où j'enseignais faire un petit sondage . Seule une personne avait été capable de nous dire qui il était .

Il en irait bien autrement aujourd'hui non pas tellement parce que la population est plus au courant des activités de 

cet écrivain mais plutôt parce qu'on a construit autour de sa personne un mythe nécessaire .

De même pour Georges Perros, ce non Breton plus Breton que tous : qui en parlait il y a une quarantaine d'années ?

Et Sébastien le Balp, l'immense Sébastien Le Balp , le chef de la révolte des Bonnets Rouges, l'icône nationaliste par

excellence , qui en parlait il y a une quarantaine d'années ? Une toute petite minorité , alors qu'une majorité incon-

testable s'en réclame aupurd'hui .

Il en va de même pour Angela Duval : cette obscure paysanne , inconnue du grand public malgré la très belle émission 

que lui avait consacrée André Voisin en 1971 ( Les conteurs ) est devenue incontournable . Même le maire d' com-

mune , à moitié analphabète et plus préoccupé par les comptes que par les lettres , a fait en sorte que l'école du bourg

soit nommée Angela Duval .

Pour honorer sa mémoire ? Non , pour la récupérer et surfer sur la vague identitaire .

Ce genre de récupération m'énerve d'autant plus qu'on conditionne les gens pour leur faire croire que ces hommes et

ces femmes étaient de grands hommes et de grandes femmes . C'est indiscutable et en douter relève plus que de la

faute morale :  de la trahison .

On pare ces défunts de toutes les vertus pour nos besoins du moment . Or : demandez à Katell, sa femme , et à ses

enfants comment s'est comporté Glenmor , lisez  les historiens sérieux  qui démontent le mythe le Balp et , de manière

encore plus nette , Pontcallec , plongez-vous dans les grands poètes pour comprendre que la " poésie " d'Angela Duval

est du pipi de chat et que le fait de parler breton, d'être une femme, d'exercer le dur métier de paysanne , de vivre

de manière très mod koz  ne vous tresse pas nécessairement des lauriers dans l'écriture .

Je n'ai donc rien contre Angela Duval  : en tant qu'amoureux des belles lettres , je lui reproche plutôt  d'être l'endormeu-

se Duval , celle dont les écritures  sont consternantes d'un point de vue poétique ( lisez son affligeante Prière à l'Abbé

Perrot ou son ridicule  Me 'garge bout ) .

Et je reproche cette récupération qu'on a fait d'elle à des fins politiques, identitaires , nationalistes et non pas littéraires .

Mais rassurez-vous , chère Angela : je vous aime bien au fond , car ne dit-on pas Qui bene amat bene castigat ? ( Qui

aime bien châtie bien ) .

Et pour me punir de vous avoir étrillée , je vais aller me baigner nu dans les froides eaux de Traon an Dour , puis , un

volume de vos oeuvres complètes ( heureusement , ils ne pèsent pas bien lourd ) dans les paumes de mes mains à l'ho-

rizontale  , j'irai réciter le moins mauvais de vos poèmes ( cela va être compliqué car ils sont tous mauvais ) sur la

tombe de l'Abbé Perrot pour  finir par une séance publique d'auto-flagellation avec les porte-jarretelles que j'ai pieuse-

ment conservés comme reliques et que vous portâtes coquinement votre vie durant comme un moine ascétique son

cilice .

Prof De Guermont

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Commentaires
J
Bonjour,<br /> <br /> Permettez-moi de vous dire que votre analyse est excellente. Paradoxalement, Paol Keineg, militant de la première heure de la cause bretonne et qui a toujours tenu la route poétiquement parlant, ne fait pas partie des références iconographiques du roman national breton et je doute qu'il le soit après sa mort, tant il semble relégué dans les oubliettes de "l'emsav". Son dernier recueil, "Mauvaises langues" est remarquable de justesse quant à ce qu'est devenu, selon lui, sa terre. Merci en tout cas pour votre blog que je consulte régulièrement. J'y apprends beaucoup en riant souvent. C'est notamment grâce à vos chroniques que je me suis lancé dans le lectures des "Partages" d'André Markowicz. C'est après avoir garé ma voiture près de la gare de Rennes que j'ai découvert "Autour de Pont Melvez". Dans une certaine rue Jakez Karter où ce pauvre Jacques Cartier était malmené par des "linguistes", pour le moins sans âme et sans conscience. Après un recherche , sur Internet, j'avais constaté que je n'étais pas le seul à penser qu'il leur manquait surtout d'un peu de matière grise...<br /> <br /> Encore merci;<br /> <br /> Jean-Marie Henry
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