Sainte Angela, priez pour nous
Sainte Angela, priez pour nous
Je sais bien ce que vous pensez : je suis injuste avec Angela Duval , notre poétesse nationale .
La preuve : je n'arrête pas de me moquer d'elle, poussant même l'inconvenance à lui donner de l'endormeuse Duval
( ce n'est pas de moi mais je trouve cette trouvaille vraiment délicieuse, n'est-ce pas , Arthur ? ) .
Je n'ai personnellement rien contre celle qui habitait à Traon an Dour à Vieux Marché .
C'était certainement une très brave femme, courageuse , très proche de la nature , plutôt catho mais personne n'est
parfait ; elle accomplissait son difficile travail de paysanne avec assiduité et parlait ce breton authentique et populaire
qui parle tellement à mon coeur et qui me fait une grande peine de voir mourir .
Mais cela en fait-elle une poétesse ?
Le fait d'être une paysanne pauvre , bretonnante , très attachée à sa terre , ayant vécu la tourmente de l'occupation ,
d'écrire beaucoup , lui confère-t-elle automatiquement le statut d'indiscutable poétesse ?
Pour parler riche , je pense que Angela Duval participe du phénomène de la construction d'un mythe : on a toujours
besoin de grands hommes et de grandes femmes, de personnages qui cristallisent nos besoins, nos aspirations , nos
illusions , nos convictions , réelles comme montées de toutes pièces , nos déceptions , nos espoirs ...
Chez nous , on avait besoin d'un Angela Duval, comme on a eu besoin d'un Glenmor, d'un Xavier Grall , d'un Georges
Perros , d'un Jean-Michel Kernaleguen , d'un Pontcallec , d'un Sébastien Le Balp ... Autant de morts élevés en icônes
et auxquels on attribue les qualités les plus élevées , les pensées les plus nobles , plus pour notre profit que pour
honorer leur mémoire .
On a besoin de ces personnages pour cimenter notre appartenance au concept de la Bretagne .
Ce qui me frappe est que , il y a une quarantaine d'années , presque personne ne connaissait ces défunts ( mise à
part Glenmor qui poussait encore ses gueulantes salutaires ) , alors que tout le monde s'en gargarise actuellement .
Je me souviens de 1981 , date de la mort de Xavier Grall , ce grand monsieur à mon sens , celui qui affichait ce
très beau visage d'Ankou émacié : j'étais allé avec mes élèves de 3è dans les rues de cette petite ville du centre Bre-
tagne où j'enseignais faire un petit sondage . Seule une personne avait été capable de nous dire qui il était .
Il en irait bien autrement aujourd'hui non pas tellement parce que la population est plus au courant des activités de
cet écrivain mais plutôt parce qu'on a construit autour de sa personne un mythe nécessaire .
De même pour Georges Perros, ce non Breton plus Breton que tous : qui en parlait il y a une quarantaine d'années ?
Et Sébastien le Balp, l'immense Sébastien Le Balp , le chef de la révolte des Bonnets Rouges, l'icône nationaliste par
excellence , qui en parlait il y a une quarantaine d'années ? Une toute petite minorité , alors qu'une majorité incon-
testable s'en réclame aupurd'hui .
Il en va de même pour Angela Duval : cette obscure paysanne , inconnue du grand public malgré la très belle émission
que lui avait consacrée André Voisin en 1971 ( Les conteurs ) est devenue incontournable . Même le maire d' com-
mune , à moitié analphabète et plus préoccupé par les comptes que par les lettres , a fait en sorte que l'école du bourg
soit nommée Angela Duval .
Pour honorer sa mémoire ? Non , pour la récupérer et surfer sur la vague identitaire .
Ce genre de récupération m'énerve d'autant plus qu'on conditionne les gens pour leur faire croire que ces hommes et
ces femmes étaient de grands hommes et de grandes femmes . C'est indiscutable et en douter relève plus que de la
faute morale : de la trahison .
On pare ces défunts de toutes les vertus pour nos besoins du moment . Or : demandez à Katell, sa femme , et à ses
enfants comment s'est comporté Glenmor , lisez les historiens sérieux qui démontent le mythe le Balp et , de manière
encore plus nette , Pontcallec , plongez-vous dans les grands poètes pour comprendre que la " poésie " d'Angela Duval
est du pipi de chat et que le fait de parler breton, d'être une femme, d'exercer le dur métier de paysanne , de vivre
de manière très mod koz ne vous tresse pas nécessairement des lauriers dans l'écriture .
Je n'ai donc rien contre Angela Duval : en tant qu'amoureux des belles lettres , je lui reproche plutôt d'être l'endormeu-
se Duval , celle dont les écritures sont consternantes d'un point de vue poétique ( lisez son affligeante Prière à l'Abbé
Perrot ou son ridicule Me 'garge bout ) .
Et je reproche cette récupération qu'on a fait d'elle à des fins politiques, identitaires , nationalistes et non pas littéraires .
Mais rassurez-vous , chère Angela : je vous aime bien au fond , car ne dit-on pas Qui bene amat bene castigat ? ( Qui
aime bien châtie bien ) .
Et pour me punir de vous avoir étrillée , je vais aller me baigner nu dans les froides eaux de Traon an Dour , puis , un
volume de vos oeuvres complètes ( heureusement , ils ne pèsent pas bien lourd ) dans les paumes de mes mains à l'ho-
rizontale , j'irai réciter le moins mauvais de vos poèmes ( cela va être compliqué car ils sont tous mauvais ) sur la
tombe de l'Abbé Perrot pour finir par une séance publique d'auto-flagellation avec les porte-jarretelles que j'ai pieuse-
ment conservés comme reliques et que vous portâtes coquinement votre vie durant comme un moine ascétique son
cilice .
Prof De Guermont