Les bons contes font les bons amis (4)

Les bons contes font les bons amis (4)

Ceci est un conte pour enfants pas sages, car je me méfie de ceux qui sont bien polis ,disent bonjour à M. l'instituteur et saluent avec déférence les adultes .

Ces petits morveux cachent souvent de redoutables hypocrites .

Conte pour enfants pas sages, donc , et véridique en plus : vous ne pourrez pas dire que je ne vous gâte pas .

Il y a une vingtaine d'années, je recevais dans mon village des amis flamands qui venaient tous les étés passer quinze jours dans ma deuxième petite maison .

Car je possède deux maisons , figurez-vous : une, complètement minuscule où je vis, et une autre, située à cent mètres de là , qui me sert à recevoir des amis car l'autre est vraiment trop petite . ( Quand je dis recevoir des amis, cela ne m'empêche pas d'y organiser de savantes bacchanales où des nonnettes friponnes se livrent à des vêpres assez particulières .

Et je ne parle pas des complies . ) Celle où vont mes hôtes est mod koz à l'extrême ( je le dis pour que les malveillants ne s'imaginent pas que je fais mon petit Jérôme Cahuzac ) :

ni eau courante ni toilettes , juste une grande cheminée et une âme ; Car les maisons anciennes ont une âme, le saviez-vous , mécréants ?

Bref : cette année-là , mes amis avaient décidé de venir passer Noël et le nouvel an dans cette maison . La Flamande , Greet de son prénom , était une excellente cuisinière et ,comme le siège de mes sentiments se situe au niveau de mon estomac , je salivais comme le loup lubrique de Tex Avery en attendant de bâfrer .

Tandis que mes amis s'affairaient dans leur maison à préparer le repas, je me trouvais dans la mienne à m'adonner à un exercice hautement spirituel pour un moine qui se respecte .

Bref : je débouchais de superbes bouteilles de vin .

On frappa à la porte : croyant qu'il s'agissait de mes amis , je l'ouvris avec empressement ,pour me trouver nez à nez avec deux gendarmes ( sobres , il faut bien l'avouer ) .

En fait , ces deux militaires cherchaient je ne sais plus trop quoi et étaient tout simplement venus chez moi se renseigner car , de toute évidence , mises à part mes deux petites maisons, le village était désert .

Alors que je faisais de mon mieux pour leur donner des explications forcément lumineuses ,la porte s'ouvrit  à nouveau et Greet , qui , toute à la pensée de préparer le repas , ne s'était pas rendue compte de la présence des gendarmes et encore moins de leur véhicule qu'ils avaient dû garer un peu plus haut car j'habite un cul-de-sac , me demanda le plus naturellement

du monde : " Youenn , tu n'as pas un fouet ? "

( Faut-il préciser qu'il s'agissait de cet instrument de cuisine servant à battre certains ingrédients et non  du  martinet  utilisé  par quelques  moines pervers - suivez mon regard – pour de scandaleux  jeux érotiques sous couvert de pénitence et de macération ? )

Toujours est-il que l'un des gendarmes , plein d'humour - cela arrive parfois , je vous assure -  se tourna vers moi et dit : " Un fouet , monsieur Le Floc'h ? Il fait partie de la panoplie cuir que le Père Noël vous a apportée ? "

Et voilà comment on taille une réputation exécrable à un moine comme moi qui suis un ange de vertu .

Quant aux enfants sages : dégagez, ou je vous en colle une !

 Prof de Guermon